Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à l’opération Mathématiques la plus simple qui soit : l’addition. Bien sûr, faire une addition n’est pas bien compliqué ! Nous apprenons dès l’école à faire l’addition de nombres relatifs à la main ! Cependant, nous allons voir l’addition dans un cadre un peu (très) particulier : celui où l’on fait la somme d’une infinité de nombres (oui oui !). J’espère que votre première réaction est « mais cela n’a aucun sens » ! Dans les faits, ceci est en fait tout à fait faisable, nous allons voir des exemples (tous déroutants !). Mais nous allons aussi voir qu’en Mathématiques, dès que l’infini apparait, il faut être très, très vigilant. Les problèmes ne sont alors jamais très loin, et peuvent sembler complétement fous….
Cet article est certainement un peu plus difficile que les autres, prenez le temps de le relire si besoin. En vous accrochant, vous allez réussir à sentir les notions qui sont développées !

Additionner une infinité de nombres

Commençons par étudier une somme simple : 1 + 2 = 3. Nous faisons la somme des deux premiers nombres entiers, facile ! Rien ne nous empêche de continuer ce procédé : 1 + 2 + 3 = 6 puis 1 + 2 + 3 + 4 = 10…

Rien de bien mystérieux jusqu’ici. Posons-nous une question que seuls les Mathématiciens aiment se poser : « Et si l’on continuait ce procédé jusqu’à l’infini ? », autrement dit « Que vaut la somme 1 + 2 + 3 + 4 + … + 897 562 120 + … ? ».

Cette question semble assez absurde. En effet, nous additionnons une INFINITE de nombres (tous positifs qui plus est), comment cela pourrait donner un résultat FINI ? Et en effet, je n’ai pas grand-chose à répliquer à cela (quoi que si en fait. Mais une prochaine fois peut-être !).

Il me semble qu’il est important de clarifier la notion de somme infinie, et de lui donner un véritable sens. Tout d’abord, un nom : une série. Oui, en Mathématiques, regarder une série c’est faire une somme infinie. Bien plus excitant que d’être sur Netflix !

Nous allons introduire la notion de somme partielle. Il s’agit de regarder « tour à tour » la valeur de notre somme. Nous notons Sn la valeur des n premiers termes de la somme. Par exemple :

 

$S_{1} = 1$
$S_{2} = 1+2 = 3$
$S_{3} = 1+2+3 = 6$
$S_{4} = 1+2+3+4 = 10$
. . .

Nous obtenons alors une suite de nombres : 1 / 3 / 6 / 10 / …
Regarder la somme infinie, c’est en fait regarder de plus en plus loin dans la somme partielle. Ici, il est clair que les sommes partielles deviennent de plus en plus grandes, et que cette somme semble se diriger tout droit vers l’infini !

Une série convergente

Nous allons voir qu’il peut se passer un phénomène assez déroutant : une série peut être convergente. Traduisons en langage plus clair « il existe des cas ou la somme d’une infinité de nombres est égale à un nombre fini ».
Pour cela, regardons un exemple, avec la somme suivante :

$S = 1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+\dfrac{1}{16}$
$S = 1+\dfrac{1}{2^2}+\dfrac{1}{3^2}+\dfrac{1}{4^2}$

Avant de poursuivre, il est important de comprendre comment est construite cette somme. Pour cela, écrivons la différemment :

Nous ajoutons les inverses des carrés des nombres entiers.
Encore une fois, puisque nous ajoutons une infinité de nombres, le résultat sera infini ? Pas si sûr. Regardons quelques une de ses sommes partielles :

$S_{1}=1$
$S_{2}=1+\dfrac{1}{4}=1,25$
$S_{3}=1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9} \approx 1,36$
$S_{4}=1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+\dfrac{1}{16} \approx 1,42$
$. . .$
$S_{10} \approx 1,5498$
$S_{100} \approx 1,6350$
$S_{10000} \approx 1,6448$
$S_{10000000} \approx 1,6449$

Qu’observons-nous ? Il semble que les sommes partielles sont de plus en plus grandes (c’est logique puisqu’à chaque fois nous ajoutons un nombre positif), mais qu’elles semblent se rapprocher d’une valeur d’environ 1,6449. Bien sûr, nous ne pouvons rien en conclure, il se pourrait très bien que les sommes partielles croissent de façon très lente, et se dirigent vers l’infini à vitesse d’escargot.

Le calcul de cette somme est en fait un problème très connu, appelé « Le problème de Bâle ». C’est le Mathématicien Euler qui en 1741 démontra le résultat stupéfiant : cette somme a une valeur finie, exactement égale à π²/6 .

Mais qu’entends-on par cela ? En fait, cela se traduit de façon très rigoureuse en Mathématiques. Dans l’idée, les sommes partielles vont être de plus en plus grandes et vont se rapprocher de plus en plus de cette valeur π²/6. En allant assez loin, nous pourrons être aussi proche que l’on veut de π²/6. D’ailleurs, cette valeur est d’environ 1,644934066 et nous nous en approchions fortement avec les sommes partielles ci-dessus.

J’espère que vous sentez le caractère extraordinaire de ce résultat !
Tout d’abord, la somme d’une infinité de nombre donne bien un résultat fini ! Et puis, que vient faire le nombre π ici ? C’est une bonne question, je vous laisse apprécier cette curiosité !

Des opérations problématiques

Pour calculer des séries, on voit parfois sur internet des choses un peu douteuses. Par exemple, sur le calcul de la série :   A = 1-1+1-1+1-1… Voici ce qui est souvent proposé :
Nous pouvons ré écrire l’égalité différemment, en factorisant par -1 les termes (sauf le premier).
Nous obtenons : A = 1-1+1-1+1-1
                             = 1 – (1 – 1 + 1 – 1 + 1…)
                             = 1 – A (on reconnait l’expression de A dans la parenthèse)
De l’égalité A = 1 – A, on peut conclure que 2A = 1 et donc que A = 0,5.
Un peu étrange, non ? En effet, je vous laisse vérifier que les sommes partielles valent alternativement 1 puis 0. Elles ne se rapprochent d’aucun nombre : la série est divergente (bien que cette valeur 0,5 ne soit pas totalement absurde, c’est en quelque sorte la moyenne des sommes partielles).
Alors quel est le problème ? Il est en fait assez vicieux. Nous avons délibérément ré organisé les termes de la somme (on factorise par -1). Mais est-on autorisé à le faire ? A priori, nous n’avons jamais défini la moindre règle de calcul sur les sommes infinies, alors il faut être prudent.

Accordons-nous sur 2 principes que devraient respecter une somme infinie :

       1. La linéarité. Cette propriété dit que si je multiplie par 2 tous les termes de la somme, alors le résultat doit être égal au double de la somme initiale.

 Par exemple, nous avons vu que :

$S = 1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+\dfrac{1}{16}=\dfrac{\pi²}{6}$

Nous voulons donc que :

$2S = 2+\dfrac{2}{4}+\dfrac{2}{9}+\dfrac{2}{16}=\dfrac{2 \pi²}{6}$

De plus, si j’ajoute deux séries je peux faire la somme terme à terme. Par exemple :

$S_{1} = 1+2+3+4+...$
$S_{2} = 1+4+9+16+...$
$\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_\_\_\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_\_ \_$
$ S_{1}+S{2} = (1+1)+(2+4)+(3+9)+(4+16)+...$

       2. La stabilité. Cette propriété impose deux choses. Premièrement, j’ai le droit de ré organiser comme bon me semble l’ordre des termes dans une addition infinie. C’est assez naturel puisque cela est autorisé sur les sommes finies (par exemple on a bien : 1 + 2 + 3 = 2 + 3 +1).

Deuxièmement, j’ai le droit d’ajouter 0 à une série sans en changer la valeur. Par exemple que:

$1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+... = 0+1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+...$

Prenez le temps de vous convaincre que ces 2 propriétés sont très naturelles (et sont vérifiées pour les sommes finies). Il serait étrange de considérer ces dernières comme « fausses ».

Un exemple de calcul sur des séries paradoxal

Regardons un dernier exemple (nous touchons au but !).
Considérons S = 1+2+3+4+…
Nous avons alors S = 0+1+2+3+… par stabilité (on ajoute 0).
De plus, -S = 0-1-2-3-… par linéarité (on multiplie par -1).
Faisons la somme suivante :

$S = 1 + 2 + 3 + 4 + ...$
$-S =0 - 1 - 2 - 3 - ...$
$\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_$
$S + (-S) = (1+0) + (2-1) + (3-2) + ... $ (par linéarité : on additionne les 2 séries).

Nous pouvons écrire la dernière égalité sous la forme : 0 = 1 + 1 + 1 + 1 + … (appelons cette égalité E1)
Bon… Avouez que cela est déjà très étrange…

Poursuivons avec une dernière étape.

En multipliant l’égalité E1 par -1 et en lui ajoutant 0, nous obtenons : -0 = 0 – 1 – 1 – 1 – … (E2).

Faisons la somme de E1 et E2 :

$0 = 1 + 1 + 1 + 1 + …$
$-0 = 0 – 1 – 1 – 1 - …$
$ \_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_\_$
$0 = (1+0) + (1-1) + (1-1) + ….$ Ce que nous ré écrivons 0 = 1.

OUPS ! 0 = 1 ! Que faire de cela ? Je vous fais remarquer que nous avons calculé avec des séries en utilisant uniquement la propriété de linéarité et stabilité ! Toutes deux semblent complètement naturelles, impossibles à remettre en cause ! Et pourtant, les accepter revient à dire que 0 = 1 ! C’est impossible !

Conclusion : nous devons rejeter l’association stabilité et linéarité. Avec une somme infinie, nous n’avons pas le droit de dire que :

$1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+\dfrac{1}{16}+... = 0+1+\dfrac{1}{4}+\dfrac{1}{9}+\dfrac{1}{16}+... $

C’est complétement fou ! Non ?
Si vous êtes parvenus jusqu’ici… félicitations. Je suis conscient que le contenu de cet article n’est pas facile à suivre ! Gardez en tête qu’en Mathématiques, il faut toujours définir précisément ce qui est autorisé de faire, pas seulement se baser sur notre « feeling ». De plus, dès que l’infini apparait, méfiez-vous de tout…. !